Le matérialisme heureux


J'ai compilé ci-dessous quelques idées qui guident le matérialiste dans sa quête de sagesse et de bonheur. Bien sûr ce n'est là qu'un rapide survol et la liste n'est pas exhaustive, je vous invite donc à parcourir les ouvrages conseillés (ou d'autres !) en fin de page pour approfondir la question !

Le matérialiste n'est ni triste, ni résigné !
L'idéaliste est celui qui croit en quelque chose qui n'est pas prouvé (comme disait une amie idéaliste à moi : la Foi, on l'a, ou on ne l'a pas), il est celui qui accepte de croire quelque chose qui n'est ni démontré par la science, ni explicable, et qui ne peut être reproduit par l'expérience.

Le matérialiste au contraire préfère en rester à des choses prouvées, explicables et pouvant être (au moins partiellement) reproduites par l'expérience. Le terme philosophique pour désigner ces choses est tout simplement "vérité", c'est-à-dire toute pensée qui est conforme au réel, ou plus simplement la vérité est (et n'est que) la réalité, passée, présente, et à venir. C'est peut-être avoir une conception limitée de l'univers que de ne pas voir au delà du perceptible (de refuser en d'autres termes un autre vérité que le réel). Cependant, j'aimerais citer un passage de l'excellent livre d'A. Comte-Sponville, "l'amour, la solitude", pour éclairer ce point :

"Le problème n'est pas de découvrir une autre vérité, qui manquerait, qui ferait défaut (tout est vrai : la vérité est tout), mais de comprendre qu'il n'y a rien d'autre à prouver que la vérité, rien d'autre à chercher, donc, et qu'on est déjà dedans, et qu'on en connaît déjà plus qu'assez pour en vivre... Le Bouddha ou le Christ en savaient moins que nous, beaucoup moins, mais cela ne nous donne sur eux aucune supériorité spirituelle. A quoi bon accumuler savoir sur savoir, si c'est pour rester prisonnier de soi et de sa peur? [...] Ce n'est pas la vérité qui nous manque : c'est nous qui la manquons, parce que nous ne cessons de chercher autre chose, que nous ignorons, pour donner un sens au réel que nous connaissons... Or dès que nous découvrons autre chose, c'est pour nous apercevoir qu'elle n'a pas plus de sens que le reste, et qu'il faut donc chercher encore... Le sens fait toujours défaut, et ce défaut, c'est le sens même. [...] L'immanence c'est cela : tout est là, il n'y a rien d'autre à chercher que tout, rien d'autre à trouver que tout, où nous sommes déjà. [...] Il n'y a que le vérité : il n'y a que tout. Et les hommes, absurdement, cherchent autre chose : comme si tout, ce n'était pas assez ! [...] Il ne s'agit pas de chercher ce qu'on ignore, mais d'habiter ce que l'on sait".

Mais est-ce à dire que le matérialiste est quelqu'un de triste et de résigné, qui n'attend plus rien de la vie ?

Au contraire ! S'il s'agit de ne plus fonder sa vie sur des espérances sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle et qui risquent donc d'être déçues, il reste encore une grande marge de manoeuvre : l'action ! Beaucoup de choses dépendent de nous en effet comme l'attitude que nous avons envers autrui, et aussi envers nous même, notre façon d'appréhender les évènements qui nous touchent dans la vie de tout les jours... Essayer de s'aimer mieux et d'aimer mieux les autres dépend de nous, et est la source d'un bonheur durable. Mais il faut aussi réaliser qu'aucun bonheur n'est possible sans la chance, que le malheur fait partie de la vie. Et c'est en acceptant cette part de malheur et de souffrance que nous ne nous laissons plus piéger par elle. Il convient donc d'avoir "le bonheur modeste et le malheur serein : ni l'un ni l'autre ne sont mérités" (A. CS).

Dans ce sens vous pouvez lire la Lettre à Ménécée d'Épicure (ci-dessous), qui reprend (et détaille, beaucoup mieux que moi !!) cette idée. A ce propos, je tiens à signaler une erreur communément commise concernant Épicure, et l'adjectif qui en découle aujourd'hui, "épicurien" : comme il le précise dans sa lettre, l'épicurien (lui nous plus !) n'est pas un jouisseur (au sens sexuel ou plus largement au sens "qui profite de la vie, des plaisirs de la table, ..." comme on peut l'employer aujourd'hui...), mais plutôt un ascète, comme l'était Épicure lui-même !

Lettre à Ménécée (extraits)

[...] 
Il faut donc étudier les moyens d’acquérir le bonheur, puisque quand il est là nous avons tout, et quand il n’est pas là, nous faisons tout pour l’acquérir. [...] 
Habitue-toi à penser que la mort n’est rien pour nous, puisque le bien et le mal n’existent que dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. [...] Celui qui déclare craindre la mort non pas parce qu’une fois venue elle est redoutable, mais parce qu’il est redoutable de l’attendre est donc un sot. [...] Ainsi donc, la mort n’est rien pour nous, puisque tant que nous vivons, la mort n’existe pas. Et lorsque la mort est là, alors, nous ne sommes plus ! [...]
Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse et que toutes nos actions ont pour but d’éviter à la fois la souffrance et l'angoisse. [...]

Le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C'est lui que nous avons reconnu le premier des biens naturels, c’est lui qui nous fait accepter ou fuir les choses, c’est à lui que nous aboutissons, en prenant la sensibilité comme critère du bien.

Or, puisque le plaisir est le premier des biens naturels, il s’ensuit que nous n’acceptons pas le premier plaisir venu, mais qu’en certains cas, nous méprisons de nombreux plaisirs, quand ils ont pour conséquence une peine plus grande. D’un autre côté, il y a de nombreuses souffrances que nous estimons préférables aux plaisirs, quand elles entraînent pour nous un plus grand plaisir. Tout plaisir, dans la mesure où il s’accorde avec notre nature, est donc un bien, mais tout plaisir n’est pas cependant nécessairement souhaitable. De même, toute douleur est un mal, mais pourtant toute douleur n’est pas nécessairement à fuir. Il reste que c’est par une sage considération de l’avantage et du désagrément qu’il procure, que chaque plaisir doit être apprécié. En effet, en certains cas, nous traitons le bien comme un mal, et en d’autres, le mal comme un bien.

Ainsi, nous considérons l'autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. [...] Du pain et de l’eau procurent le plaisir le plus vif, quand on les mange après une longue privation. L’habitude d’une vie simple et modeste est donc une bonne façon de soigner sa santé, et rend l’homme par surcroît courageux pour supporter les tâches qu’il doit nécessairement remplir dans la vie. Elle lui permet encore de mieux apprécier, à l'occasion, les repas luxueux et, face au sort, l'immunise contre l'inquiétude.

Quand nous parlons du plaisir comme d'un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs des débauchés, ni des jouissances sensuelles, comme le prétendent quelques ignorants qui nous combattent et défigurent notre pensée. Nous parlons de l’absence de souffrance physique et de l’absence de trouble moral. Car ce ne sont ni les beuveries et les banquets continuels, ni la jouissance que l’on tire de la fréquentation des jeunes garçons et des femmes, ni la joie que donnent les poissons et les viandes dont on charge les tables somptueuses, qui procurent une vie heureuse, mais des habitudes raisonnables et sobres, une raison cherchant sans cesse des causes légitimes de choix ou d’aversion, et rejetant les opinions susceptibles d’apporter à l’âme le plus grand trouble. [...]

On ne saurait vivre agréablement sans prudence, sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable. [...]

Épicure