L'athéisme

"Dieu : le non-être qui a le mieux réussi à faire parler de lui." (R. Queneau)


J'aimerais en guise d'introduction citer un passage de "l'insoutenable légèreté de l'être" de Kundera, qui, s'il n'a rien de scientifique, est tout de même assez drôle !

"Quand j'étais gosse et que je feuilletais l'Ancien Testament raconté aux enfants et illustré de gravures de Gustave Doré, j'y voyais le bon Dieu sur un nuage. C'était un vieux Monsieur, il avait des yeux, un nez, une longue barbe, et je me disais qu'ayant aussi une bouche, il devait aussi manger. Et s'il mangeait, il fallait aussi qu'il eût des intestins. Mais cette idée m'effrayait aussitôt , car j'avais beau être d'une famille plutôt athée, je sentais que l'idée des intestins de Dieu était blasphématoire. 
Sans la moindre préparation théologique, spontanément, l'enfant que j'étais alors comprenait donc déjà qu'il y avait incompatbilité entre la merde et Dieu, et par conséquent, la fragilité de la thèse fondamentale de l'anthropologie chrétienne selon laquelle l'homme a été créé à l'image de Dieu. De deux choses l'une : ou bien l'homme a été créé à l'image de Dieu et alors Dieu a des intestins, ou bien Dieu n'a pas d'intestins et l'homme ne lui ressemble pas." 

Bon, soyons sérieux deux minutes (mais pas plus)... Retour à l'argumentation, et commençons, comme toute dissertation qui se respecte, par définir les termes du sujet :

Définition sommaire
Etymologiquement, l'athée est celui qui nie l'existence des divinités :  (en grec : ἄθεος, composé du ἀ- privatif + θεός dieu), avec toutes les conséquences que cette conception peut impliquer : pas de vie après la mort, pas de survivance d'une "âme", pas de paradis ni d'Enfer, etc... Pourtant, être athée ne signifie pas pour autant ne pas avoir de ligne de conduite.

Etre athée c'est choisir de vivre en considérant que nous devons trouver seuls (c'est à dire sans Dieu, sans Livre saint, sans Ministre du culte, quelqu'il soit, etc...) les réponses à nos questions, et en considérant que nous sommes responsables non pas devant un être transcendant, mais devant nous-mêmes (on pourrait dire devant notre conscience), de nos actes.

Pour en savoir plus, je vous conseille la page du dictionnaire sceptique sur l'athéisme.

L'athée, être immoral !
Souvent j'ai pu lire sur la toile que l'athée, ne croyant pas en Dieu, et donc pas aux Enfers, n'a pas de morale : rien ne l'obligerait à mener une vie droite et honnête. Le raccourci est un peu rapide !

En fait, il est vrai philosophiquement que l'athée est amoral ; mais est-il pour autant immoral ? En ce qui me concerne, je pense qu'on peut dire qu'il a plutôt une éthique...

Avant d'expliquer la différence entre la morale et l'éthique (peut-être un peu aride, quoique !...), voici quelques réflexions tout à fait pragmatiques sur l'éthique athée glanées au fil des pages traitant de l'athéisme (voir les adresses de ces sites ici) :

- "Être athée pourtant c'est s'apercevoir que tout est à faire, tout est à inventer. C'est prendre conscience que nous avons à charge de devenir humain, nous qui le désirons tant : humain, jamais trop humain... Être athée c'est apprendre à être responsable du seul monde que nous avons, à préserver ses richesses naturelles et culturelles et donc apprendre le respect de la diversité. Tolérance et miséricorde, nous sommes seuls, nous ne pouvons compter que sur nous..."

- "L'éthique est une discipline de la philosophie qui existait déjà bien avant le christianisme, et il est possible de définir ce qui est bien et ce qui est mal, et par là d'adopter un comportement éthique, en s'appuyant sur plusieurs modes de pensée (ou modèles d'éthique) qui ne font pas appel au concept de "dieu".

Les 3 philosophies éthiques ne faisant pas appel au concept "dieu" les plus connues sont:

- Le système gréco-romain des "vertus": en bref, l'homme doit travailler à développer les côtés "vertueux" de sa personnalité (le courage, la générosité, la gentillesse, le civisme, etc.)

- L'universalisme Kantien: en très bref, il faut se demander:"Si tous les hommes (ou au moins un grand nombre) agissaient selon les mêmes principes que moi, quel serait le résultat ?"

- L'utilitarisme: en très très bref: face à une question éthique, il faut se demander: laquelle des options produira la plus grande somme de bonheur ?

Chacun de ces 3 systèmes est suffisant pour faire des choix éthiques, sans l'aide du concept de dieu ou des préceptes chrétiens. On peut donc en conclure que le fait de ne pas croire en l'existence d'un dieu n'est en aucun incompatible avec le fait de se comporter de manière éthique, et d'avoir des principes éthiques. La prétention de certains chrétiens qui affirment que les athées qui se comportent de manière éthique font du christianisme sans le savoir n'est donc rien d'autre qu'une démonstration d'ignorance de la philosophie."

Et maintenant, entrons dans le vif du sujet : quelle différence y a-t-il entre la morale et l'éthique ? J'aimerais citer ici les propos de B. Giuliani dans son livre "L'amour de la sagesse", qui me paraît à la fois claire et pertinente :

"Le propre de la morale est d'obliger un individu à respecter des règles qui définissent un "devoir être" distinct du réel. [...] Toute morale commande le respect d'un devoir. [...] Le "devoir" au sens moral désigne une obligation absolue. [Il est] est un "impératif catégorique" imposé à tous sans condition. Toute loi morale prend la forme d'un "Tu dois!" qui ne tient aucun compte du désir du sujet et des circonstances de l'action. Elle se fonde sur des valeurs tenues pour absolues, sans rapport avec l'expérience et les sentiments humains. La morale s'autodéfinit : Qu'est-ce qu'un devoir ? C'est le respect absolu du Bien défini par la loi morale. Qu'est ce que le Bien ? C'est de faire son devoir conformément à la loi morale, quelles qu'en soient les conséquences, bonnes ou mauvaises. [...] Toute morale est idéaliste et idéologique : elle exige de respecter un idéal supérieur au bonheur individuel et affirme une totale indifférence au réel.

Le philosophe refuse toute morale ainsi définie parce qu'il est uniquement déterminé par le désir philosophique du bonheur, sans autre moyen que la raison et sans autre référent que l'attention au réel. Les pricipes de son éthique ignorent tout devoir-être, toute valeur absolue, tout impératif catégorique et toute loi morale, parce qu'il cherche seulement la compréhension des moyens nécessaires à la réalisation de son désir de bonheur, pour soi et pour tous.

Le philosophe et le moraliste visent tous deux un "bien". Mais c'est au nom d'un Bien idéal que le moraliste interdit et ordonne certaines actions. l'éthique est entièrement indépendante de toute morale, parce qu'elle ne vise aucune autre valeur que le bien réel des individus. Elle ne vise que le bonheur.[...]

La morale est la fidélité aveugle à une idée, un dogme et une loi, même lorsqu'elle cherche à se justifier par des arguments. L'éthique est la fidélité lucide à la raison, à la vérité et à l'amour. Le moraliste vit dans la haine et dans la crainte du mal qu'il ne comprend pas. Le philosophe s'efforce d'agir dansd le désit et l'amour du bien qu'il comprend. [...]"